Taiwan : Réactions au prix nobel de la paix attribué à Liu Xiaobo
Deux articles interessants :
- Pride, Politics: Taiwan Reacts to Nobel, October 19, 2010, Paul Mozur, China Real Time Report, The Wall Street Journal
- Taiwanese cheering for Liu, angry at Ma, BY TAKIO MURAKAMI THE ASAHI SHIMBUN, 2010/10/16
Ces articles racontent que le DPP a réagi immédiatement à l'annonce de l'attribution, a publié un communiqué demandant la libération de Liu, et faisant état de sa forte inquiétude concernant la situation des droits de l'homme en Chine.
Peu de temps après, le président Ma publia un communiqué assez étonnant, disant que cette récompense n'était pas seulement un honneur pour un seul individu, mais qu'elle avait aussi une signification historique pour le développement des droits de l'homme en Chine (!).
Ce communiqué était assez surréaliste, et c'est là que les choses ont mal tourné. Les médias taiwanais, le DPP, et des associations accusèrent le KMT pour cette réaction si timorée.
Le jour suivant, Ma appela à la libération de Liu. Le DPP n'en rappela pas moins le silence de Ma lors de la condamnation inique de Liu en Décembre dernier, silence opportuniste au moment de négociations commerciales avec la Chine.
"Alors que d'habitude la population semble assez indifférente aux développements des discussions inter-détroits, et même aux appels des organisations pro-démocratie, il y a eu un réel mécontentement à propos du premier communiqué de Ma. Il y a eu un réel intérêt pour Liu, et seuls Ma et les hommes d'affaires ne s'intéressent pas à Liu (voir dans second article)."
"Selon des témoignages de dissidents vivant à Taiwan (par exemple Wuer Kaixi) : l'intérêt pour le mouvement démocratique est plus faible qu'à Hong-Kong."
J'aime bien cette citation d'un dissident :
"Wang attributed that to "the introverted nature of Taiwanese.""
"La démocratie à Taiwan s'exprime surtout par l'implication du peuple dans la politique locale (domestic politic), ils sont moins interessés par les développements inter-détroit." Mais finalement : n'est-ce pas normal quand on vit sur une ile ?
Mais pour l'évènement du prix nobel de la paix attribué à Liu, la réaction est différente :
La réaction des taiwanais devant cet évènement est un sentiment de joie.
La réaction des taiwanais devant cet évènement est un sentiment de joie.
"D'après un dissident, les taiwanais manifestent de l'empathie vis à vis des réformateurs chinois. Un peu comme s'ils étaient passés par là pour arriver là où ils sont à présent. Ils pensent que le peuple chinois et les peuples du monde méritent la liberté, ils voient le prix fort payé par ces activistes et pensent qu'ils méritent d'être encouragés."
"Je peux sentir que leur joie vient de leur générosité, et que leur générosité est liée à leur société de liberté et d'ouverture."
Magnifiques, ces phrases !
La Chine en incapacité de réforme politique, et Taiwan qui pourrait être l'exemple de démocratie à appliquer, mais le fossé se creuse.
4 (excellents !!) articles sur ce sujet :
Si j'essaie de synthétiser ces 4 articles :
Pas de réforme politique en Chine
La Chine est un pays en plein développement, qui se modernise à une vitesse galopante, telle qu'on n'a jamais vu, et son développement fait pâlir d'envie de nombreux autres pays dans le monde. Mais derrière cette transformation économique, on s'aperçoit que la Chine a un système politique incapable d'évoluer au même rythme, et même incapable d'évoluer du tout. Ce qui met la Chine à mal, c'est que cette anomalie est mise en évidence de manière criante avec le cas Liu Xiaobo. Pour certains, c'est même ainsi qu'on découvre la gravité de cette crise. [1]
La Chine est un pays qui semble incapable de réformer son système politique autoritaire mono-parti, il n'y a pas d'avancée politique, pas de progrès qui aille dans le sens d'une adaptation au monde moderne. La Chine reste enfermée dans son refus de mener d'importantes réformes politiques, et même enfermée dans son échec. [1]
Elle n'a pas été capable de gérer le mouvement de la Charte 08 d'une manière différente, depuis le massacre de la place Tiananmen en 1989. Lorsqu'une personne suggère que la Chine pourrait se développer davantage en permettant plus de liberté, il se retrouve en prison pour 11 années. Et lorsque cette même personne reçoit le prix nobel de la paix, ce sont ses proches et ses sympathisants qui sont inquiétés. Ce pouvoir est toujours adepte d'une seule méthode, la répression, ce qui illustre bien son impuissance pathétique à évoluer. Il ne peut imaginer que la démocratie est un chemin vers plus de prospérité. [1]
L'orientation politique qui a été accentuée ces dernières années concerne le caractère expansionniste de la Chine, et c'est l'évolution politique principale de la Chine. On peut parler de territorialité agressive, de nationalisme guerrier, et la Chine fait la vie dure aux pays voisins. Récemment encore, elle a ajouté la Mer de Chine Méridionale ("South China Sea") sur sa liste de revendications territoriales. Aujourd'hui, c'est la communauté internationale qui se demande comment contrebalancer le pouvoir grandissant de la Chine. [1,2]
Pas d'unification à Taiwan
Les taiwanais voient dans le gouvernement chinois un gouvernement "tyrannique et autocratique", et la résistance à l'idée d'unification est plus forte. La "réunification pacifique" (ou plus exactement : l'unification pacifique) voulue par Beijing ("the holy grail of China’s Taiwan policy" dit l'article) semble de moins en moins probable. [2]
Malgré des décades de réformes économiques à Beijing, la différence entre les deux systèmes politiques est grande, et semble toujours plus grande avec le temps.
Les taiwanais ont des raisons de craindre l'intégration économique avec la Chine : crainte d'un afflux incontrôlé de produits dangereux et de faibles qualité, crainte de voir les emplois partir en Chine, ou des chinois venir faire concurrence sur le marché du travail de l'ile, crainte de voir l'écart entre pauvres et riches se creuser inexorablement à Taiwan. [3]
De même, le sentiment de distance sociale entre taiwanais et chinois semble actuellement grandir, alors que l'intégration inter-détroit se poursuit. La rencontre des peuples se passent mal. Les taiwanais qualifient les visiteurs chinois de : 'grossiers' et 'non-civilisés', incapable de faire la queue ou de faire preuve de bonnes manières. ou encore : 'cupides', 'brutaux', 'égoïstes' et 'nouveaux riches'. [3]
Les taiwanais n'apprécient pas non plus l'attitude des chinois vis à vis du drapeau taiwanais. Les nombreux coups d'éclat autour du drapeau taiwanais sont très mal ressentis. [3]
Le contact entre les deux peuples a souvent pour effet de les rendre encore plus distants, plutôt que plus proches. Les taiwanais se sentent moins "chinois" aujourd'hui, aujourd'hui plus qu'à tout autre époque, et sont de plus en plus nombreux à être opposés à l'idée d'unification. [3]
Parce que Taiwan est une démocratie, s'il n'y a pas l'assentiment de la population, une unification pacifique est extrêmement improbable. [3]
Le template Taiwan à appliquer à la Chine [4]
Alors pourquoi la Chine ne prendrait pas Taiwan comme un modèle de système politique, plutôt que de parler de province rebelle ? Après tout, la Chine a pris Taiwan comme modèle, en basant son développement économique sur les exportations.
Le régime de Taiwan était aussi autoritaire, et le pays a su accéder à un régime démocratique, pacifiquement et sans effusion de sang, en autorisant l'opposition politique et la presse libre. Taiwan représente le premier développement d'une vraie démocratie dans une région influencée par la culture chinoise. [4]
Parce que la crise mondiale a provoqué une baisse considérable des exportations, le pouvoir chinois s'est rendu compte de la nécessité d'un marché de consommation intérieur pour pouvoir continuer sa croissance économique. Et le marché de consommation intérieur n'existe que s'il y a une classe moyenne capable de consommer.
La classe moyenne émergente grandit et le nombre de personnes recevant un niveau d'éducation supérieur augmente en Chine, et tout ça se fait au rythme effréné que suit la Chine. La société chinoise atteindra vite un point charnière, lorsque ces gens vont revendiquer plus de visibilité et d'implication dans les affaires publiques. Cela sera le moment du clash inévitable avec la loi du parti unique instaurée par le parti communiste chinois. [4]
Le pouvoir chinois commence à se rendre compte que la réforme économique conduira à des revendications de réforme politique, et le pouvoir chinois comprend le besoin de réforme politique. Mais il s'interroge sur la dimension qu'il faut lui donner, à quel rythme l'appliquer pour éviter des mouvement sociaux, et comment minimiser son effet sur le parti dirigeant. [4]
Le parti communiste chinois peut décider de s'opposer à la démocratie, ou peut encourager son développement. Le premier cas correspond à ce qu'a fait le parti communiste soviétique, avec les conséquences que l'on connait. Le second cas correspond à Taiwan : C'est le cas du KMT, qui dans un premier temps s'est trouvé affaibli, mais qui est finalement resté une force politique à Taiwan. [4]